C’est mardi à Manille (Philippines) et il fait chaud. La rue est très animée. Plus de 150 personnes sont rassemblées devant l’église sur les pavés. La messe vient de s’achever et le trafic de début de soirée se poursuit alors même que les membres de la congrégation se retirent.
Certains membres de cette congrégation préparent maintenant le repas. Ils doivent être une vingtaine ; certains font les achats, d’autres s’occupent de la cuisine, d’autres enfin sont prêts à servir.
Et les gens continuent d’arriver. Tout genre de personnes – des enfants aux personnes âgées. Les jeunes courent, les parents regardent. Certains sont assis sur les marches de l’église.
Le calme tombe. Les véhicules continuent de bourdonner en arrière-plan. Le prêtre commence une catéchèse qui dure environ 15 minutes. Ensuite, le repas est servi.
C’est vraiment une initiative toute simple. Une fois par semaine, un groupe de bénévoles dévoués de la paroisse Saint Vincent de Paul de la Congrégation de la Mission, donnent une partie de leur soirée pour offrir un repas aux personnes sans-abri de Manille.
Aux gens comme Mark et Analyn, qui vivent dans la rue. « Nous rêvons », dit Analyn, « d’avoir une maison, que nous pourrons considérer nôtre ».
Un rêve très lointain. Les bons jours, ils recueillent assez d’argent en ramassant les ordures pour louer une cabine. Sinon, ils sont obligés de rester dans la rue.
Ils ont du mal à manger. « Nous comptons sur le programme alimentaire », dit-elle. C’est souvent le seul repas chaud décent qu’ils reçoivent toute la semaine. Le reste du temps, ils se contentent du « pagpag » – restes de nourriture. Parfois, ils obtiennent les restes des restaurants, parfois de la poubelle. « Nous n’avons pas honte », dit Mark. « Il vaut mieux manger des restes plutôt que de la nourriture achetée avec de l’argent volé ».
C’est un couple plein de dignité. Analyn, dont la pauvreté est signalée par un écart entre ses dents de devant, est déterminée à faire en sorte que son fils (également appelé Mark) ne suive pas leur chemin. « Nous ne voulons pas que notre fils, dit-elle, grandisse dans la rue ». Mais tel est le cas, du moins pour l’instant. Une famille piégée dans la pauvreté.
Ils mangent des restes et dorment dans la rue, pour avoir assez d’argent et envoyer Mark à l’école. Mais parfois, l’argent vient à manquer. « Il étudie », dit-elle, « mais parfois il doit rater les cours » Mark, qui n’est qu’en deuxième année, mendie. « Pour qu’il puisse avoir une allocation scolaire le jour suivant », explique sa mère.
Mark et Analyn ne sont pas seuls, loin de là. Manille compte la plus grande population de sans-abris de toutes les villes du monde. Aux Philippines, on estime que 1,2 millions d’enfants sont sans abri, et 70 000 d’entre eux à Manille seulement.
Si les choses vont bien pour Mark et Analyn, et qu’ils réussissent à vendre les déchets qu’ils collectent, ils peuvent gagner 1 $ – entre les trois. S’il pleut et que le carton qu’ils ramassent devient trempé, c’est la perte, ils ne peuvent rien faire. Et c’est une entreprise compétitive – des milliers de pauvres de Manille parcourent les rues en quête d’objets indésirés. Les mêmes rues dans lesquelles ils vivent.
Le programme alimentaire de la paroisse Saint Vincent de Paul ne résoudra évidemment pas tout cela. Le programme alimentaire ne résoudra pas non plus le fait que 44% des citadins pauvres des Philippines vivent dans des bidonvilles. Mais c’est déjà quelque chose.
Plus que quelque chose. En fait, il fournit une bouffée d’oxygène, un moment de confort et de communauté dans une existence autrement exténuante.
Une façon de leur rendre leur dignité. Le fait même que ces paroissiens se soucient tant procure un certain réconfort. Il ne s’agit pas que du repas – mais du message véhiculé par cet acte. Comme le dit saint Vincent, « la compassion est cette manifestation de l’amour qui nous permet d’entrer dans le cœur de l’autre » (T.L.).
Le pape François a renforcé cette idée lors de sa visite aux Philippines en 2015. Son encyclique Laudato Si’ n’est pas seulement une réflexion sur le changement climatique, mais une réflexion sur l’impact du changement climatique sur les plus pauvres – comme ceux des Philippines dont beaucoup souffrent encore des conséquences du typhon « Haiyan ». Le Pape François déplore « l’indifférence » à l’égard de cette injustice. Il nous exhorte à faire plus pour les plus pauvres, et dès maintenant.
C’est ce que font les gens de la paroisse Saint Vincent de Paul. Et, remarquablement au milieu de toute cette pauvreté, ils apportent l’espoir. « Nous ne voulons pas que notre fils vive la même expérience que nous », explique Analyn. « Je veux qu’il ait une belle vie ».